histoire chargée, musée allégé

musée
On l’appelait Djamma, Africa, Aphrodisium, Gummi, ou encore, " le lieu maudit ", la " mâle ville d’Afrique…" "… Mais plusieurs ne connaissent de Mahdia  que ses belles plages et son sable blanc. Son histoire, aussi mystérieuse soit-elle, n’accroche que peu de gens. 
" Je n’ai jamais pensé à lire l’histoire de Mahdia ", affirme Leïla, 25 ans, un sourire moqueur au bout des lèvres. Chaque été, la jeune fille et sa famille quittent Tunis pour profiter, un mois durant, des belles plages de cette ville. Une promenade au bord de la corniche ou à travers les souks d’artisanat ; un thé aux amandes siroté sur la terrasse d’un café ou une glace léchée, les pieds dans l’eau, suffisent pour combler son bonheur. L’idée de visiter le musée n’a jamais effleuré son esprit. Pourtant, le bâtiment est situé en plein centre-ville, tout près de la célèbre porte, qui sert d’entrée à l’ancienne Mahdia.
 Devant les portes du musée, les rues bouillonnent d’activités. Mais, dans son hall, le silence pèse lourd. Inutile de relever le nombre de visiteurs " Ils sont rares de toute façon ", précise l’agent d’accueil. Assis derrière une table d’écolier, il s’ennuie à mort devant les tickets qui ne se vendent pas…

Une maigre collection

Pas de dépliants à offrir aux rares visiteurs. Seul un plan accroché à l’entrée sert de guide. Au rez-de-chaussée, on restitue l’histoire, celle de l’antiquité libyco-punique et romano-africaine. Dans les vitrines sont présentées des amphores puniques cylindriques, ainsi que des objets en céramique… Le sol est  pavé de trois mosaïques provenant de Thysdrus (l’actuelle El Jem) et Bararus (Rougga). A l’étage, on expose des objets issus des époques byzantine et islamique, ainsi que quelques objets artisanaux comme cette série de coffres (garde-robes) en bois sculpté qui occupe la travée médiane. On trouve aussi des stucs à décor floral, des ustensiles de ménage, des objets en céramique, des stèles… Toujours au même étage, un département est aménagé pour contenir une exposition ethnographique : d’un côté, le matériel de tissage, dont Mahdia était un centre important. De l’autre, des vitrines, où on livre nombre de photos illustrant des costumes traditionnels de la région de Mahdia et de ses environs, El Jem et Ksour Essef. Le couloir s’arrête sur une salle sombre, " toujours fermée à clé ", indique l’agent d’accueil. On l’appelle la " salle de trésor "  où sont exposées des pièces de monnaies en or de l’époque Byzantine, ainsi que les parures portées traditionnellement par les femmes de la région. Des feuillets de Coran, de période ziride (XIe siècle) sont également mis à l’abri dans ce coin " interdit "…C’est tout ? " Non, il reste la ’’Skifa Kahla’’ ", nous rassure notre guide. On revient au rez-de-chaussée pour traverser ensuite une porte débouchant sur une sorte de couloir garnis de quelques chapiteaux, sans indication précise. A droite, une grille, qui sépare le musée de la rue et sur laquelle sont entassées, ce jour là, des ordures.  A gauche, des escaliers menant à l’intérieur d’une coupole où se logent des colombes… Rien n’indique l’importance historique de ce monument majeur de l’art musulman médiéval que l’on nomme aussi Bab Al-Foutouh. On apprend plus tard que cet édifice constitue tout ce qui subsista de la porte fatimide et que ce vestibule à niches et banquettes était occupé au XVIe siècle par le gouverneur de la ville. On monte encore jusqu’à une terrasse antique. De là, Mahdia, l’ancienne ou la nouvelle, nous paraît splendide, entourée par une mer turquoise d’une rare beauté. Et, comme disait Paul Valery, une mer " dont l’histoire vivait encore sur ses eaux". 

Histoire troublée et méconnue

Mahdia a joué un rôle de premier plan dans l’histoire de la Méditerranée. " Son histoire est troublée et méconnue ", écrit Néji Djelloul dans son livre   Mahdia, capitale des Fatimides. D’après lui, la présence de l’homme dans la région remonte à l’époque préhistorique : deux stations néolithiques (5000 à 2000 av. J-C)  furent mises à jour à Chebba. Une centaine de monuments mégalithiques occupent une longue ligne de collines littorales à Salakta et aux environs de Ksour Essaf. La cité fut ensuite libycophénicienne, intégrée au domaine de Carthage vers le VIe s av. J.C. Elle comprenait le second grand cimetière de l’empire et un port punique très actif.  " Nous connaissons très peu de choses sur la ville-port de Gummi (la Mahdia romaine), attestée par la mosaïque (de l’époque romaine) d’Ostie ", relève encore Néji Djelloul. Les legs retrouvés, en particulier ceux de l’épave de Mahdia, (pratiquement absents au musée), confirment une occupation romaine intense.
D’après les archéologues, cette épave représente un véritable musée sous l’eau. Il est un des plus important site archéologique maritime dans la Méditerranée. Ce sont des pêcheurs d’éponge qui l’ont découvert pour la première fois, en 1907. Ils ont mis la main sur les restes d’un vaisseau antique noyé au Ier s. av. JC. Depuis, plusieurs campagnes de fouilles se sont succédée  dont la plus importante est celle qui a été entamée dans les années 50 par Jean-Jacques Cousteau. Une importante collection, composée de statuettes en bronze, d’objets en marbre ainsi que des fragments de coque et du matériel maritime, a été remontée à la surface. Elle est actuellement exposée au musée du Bardo. Malgré l’importance de ce site, aucun de ces éléments ne figure au musée de  Mahdia. Une aberrance, à notre avis.

Gloire en dents de scie

Revenons à l’histoire de Mahdia. Gummi devient, au IXe siècle (l’époque aghlabite), Qasr Djamma et, au Xe siècle (l’époque fatimide), la capitale du premier califat chiite de l’histoire de l’Islam, implantée dans un pays hostile à majorité sunnite et kharejite. Pour se défendre, " il suffit de barrer l’isthme par quelques retranchements pour transformer, à moindre frais, ce rocher nu et inhospitalier en une forteresse inexpugnable, isolée de la terre ferme, mais en relation avec la grande voie littorale antique et ses bourgs florissant ", explique encore Neji Djelloul. Ainsi,  Mahdia va devenir, pour deux siècles, la métropole politique, économique et culturelle de toute l’Ifriqiya. Elle est aussi une des plus importantes plaques tournantes du commerce international. C’est à l’époque hafside (XIIe-XVIe) que la ville vit sa plus intense décadence.
Au milieu du XVIe siècle, elle est réduite en ruines, suite aux longues luttes que se livrèrent les Turcs et les Espagnols. Elle fut repeuplée, vers la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle  par une importante colonie turque. Ce qui lui a permis de connaître un nouvel essor. Mais, vers la fin du XIXe siècle, la ville chute de nouveau. Elle n’a pu être sauvée que grâce à l’arrivée des pêcheurs italiens en 1871. Les mariniers de l’Italie méridionale apprirent aux Mahdiens la pêche nocturne au feu (lamparo), qui se développera énormément à partir de 1950, faisant de l’ancienne capitale fatimide le premier port de pêche de Tunisie, notamment pour les sardines et les poissons bleus, mais aussi un pôle touristique naissant.
Mahdia reste, pour ceux qui la visitent, " un endroit agréable ", " une excellente destination d’été ". C’est dommage que son musée demeure en marge de l’effervescence.
Lapresse
Écrit par Héla HAZGUI   

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